« Toutes les marques ont un passage à vide entre 15 et 20 ans », constate Georges Lewi, directeur général du BEC-Institute. Ne pas tomber dans le piège de la routine et ne pas se reposer sur ses lauriers, voilà bien un des enjeux majeurs des marques pour ne pas sombrer dans l’oubli et finalement disparaître.
Mais d’abord qu’est-ce qu’une marque ? A quoi ça sert ? Si elle occupe une place majeure dans notre vie quotidienne c’est avant tout parce qu’une marque remplit deux fonctions distinctes : l’identification et la projection. Car au-delà de l’aspect fonctionnel, un individu peut exprimer aussi à travers le choix d’une marque sa personnalité, son statut social, ou afficher une préférence culturelle voire une conviction. En ce sens, les marques iconiques du passé, en ayant marquées toute une génération, bénéficient d’une notoriété et d’un capital sympathie déjà acquis. Mais les gens ne consomment plus les mêmes produits à 20 ans qu’à 50, et un jeune d’aujourd’hui ne consomme pas comme un jeune d’hier. « La prescription des anciens ne suffit pas. Les jeunes ont besoin de créer eux-mêmes des liens profonds avec les marques » selon Delphine Dauge directrice de l’agence Brandimage. Alors dans une société ou les modes et les pratiques sociales évoluent au rythme des nouvelles technologies, comment les marques mythiques peuvent-elles perdurer ou retrouver un second souffle ?
– Le pouvoir de signification.
Reconnaître et être reconnu : il y a d’abord de l’affectif dans les rapports entretenus entre les marques et ses consommateurs. Mais cela ne suffit pas à réussir une culbute transgénérationnelle. C’est ce qu’a appris à ses dépens la marque mythique K-way. Après avoir été quasi-incontournable dans les années 70 à 90 – jusqu’à atteindre une notoriété équivalente à Renault – elle avait quasiment disparu, victime de la concurrence des contrefaçons chinoises et de l’émergence des géants du sportswear, tels Nike et Adidas. Ce n’est ainsi qu’en 2013, après plus de dix ans sans être distribuée sur son marché d’origine, que la marque a réussi son grand retour. Exit l’image de produit basique et bon marché : tout en conservant des modèles basiques et son côté pratique, la marque s’est relancée via une spectaculaire montée en gamme, avec de nouvelles matières techniques et des coupes stylisées. Forte d’un certain capital sympathie, la marque a investi le créneau des vêtements dits « techniques ». Et pour achever un changement de perception, elle est sortie des magasins de sport pour se placer dans les boutiques de mode, en lançant notamment plusieurs opérations de « cobranding » avec d’autres marques de prêt-à-porter phares, tel Versace, Maje ou Petit Bateau. Ainsi, s’il ne reste aujourd’hui que le petit « twist » – propre à l’identité de la marque – que l’on retrouve sur une grande partie des pièces, la marque K-Way a su renaître, en (re)devenant une icône de la « planète mode », tout en se jouant des codes propres au monde du prêt-à-porter.
Mais pour exister et perdurer dans un contexte saturé de communications, une marque ne peut pas se contenter d’innover ou de renouveler sa gamme : les réponses ne sont pas uniquement techniques. Le consommateur contemporain est aussi en recherche de sens, de valeurs et d’éthique ; il souhaite connaître l’histoire d’une marque, son savoir-faire et ses valeurs à travers ses engagements.
Fort de ce constat, le groupe coopératif Optic 2000, après avoir bénéficié de la notoriété apportée par Johnny Halliday jusqu’en 2012, a délaissé les « années stars » pour une communication recentrée sur son identité et sur ce qui constitue le socle de sa proposition de valeur : une démarche citoyenne et engagée, articulée autour de la vente de produits de santé. Optic 2000 a notamment mis en avant depuis plusieurs années ses opérations pour soutenir l’industrie lunetière française, au nom de la préservation d’un savoir-faire historique et du soutien à l’emploi local. Via la fondation Optic 2000 entre autres, la coopérative s’est également associée à l’AFM Téléthon pour la recherche dans le domaine des maladies génétiques oculaires. L’euro symbolique correspondant au montant de la deuxième paire offerte (une innovation marketing inventée par Optic 2000 et largement reprise par la suite dans le secteur optique) est d’ailleurs systématiquement reversé au Téléthon.
– Le pouvoir de « rassurance ».
Pourtant, cette stratégie, tenant pour beaucoup de la philanthropie, ne suffit pas à expliquer à elle seule que le groupe coopératif ait fini en tête pour la troisième année consécutive du classement 2016-2017 des meilleures chaines de magasins, dans la catégorie Opticiens, résultat tiré de l’enquête de consommation organisée par le cabinet Q&A Research and Consultancy. L’image d’Optic 2000 repose aussi sur sa performance et ses efforts en matière de qualité de service, avec notamment le recours depuis 2011 à la certification de service « Qualité en optique » délivrée par l’AFNOR. Car l’image et la réputation d’une marque passe aussi par sa capacité à rassurer et convaincre le consommateur sur son niveau de légitimité et d’expertise « produits ».
Le succès de la marque Cadum en est une illustration type. Initialement un baume capable d’éradiquer l’eczéma, son produit phare, le savon pour bébé, a profité de cette image de « produit de pharmacie ». Et même si elle a bénéficié de campagne marketing et publicitaire avant-gardiste et s’est inscrit dans l’inconscient populaire – qui, encore aujourd’hui en France, n’a jamais entendu l’expression « bébé Cadum » – c’est bien sur la qualité de ses produits et en axant sa communication sur le soin dans l’hygiène quotidienne que la marque a forgé son succès. D’ailleurs citée par le « Guide des meilleurs produits cosmétiques » vendue en grandes surfaces, elle est aussi reconnue par Greenpeace comme une des plus qualitatives et des plus « sûres » dans sa composition. Et si la marque a dû revoir son positionnement –elle ne distribuait en 2003 plus que 2 produits : du savon et du talc- et étendre ses produits aux adultes pour se relancer, c’est en capitalisant sur cet ADN et sa notoriété qu’elle a pu trouver un second souffle, tout en surfant sur la nouvelle appétence des consommateurs pour les produits sains, voire bio.
Il n’est pas évident pour une marque, même mythique, de passer le cap d’une génération sans se renouveler, dans une société en mutation constante. Mais s’il devait y avoir un conseil à donner pour maximiser les chances de succès, ce serait celui de Marianne Hurstel, planneur stratégique pour l’agence de communication BETC Euro RSCG : « si [les marques] possèdent un savoir-faire spécifique et reconnu, elles doivent impérativement capitaliser dessus ». C’est bien souvent en se recentrant sur ses fondamentaux qu’une marque parvient à conserver ce qui a fait sa notoriété et à poser les bases de ses succès futurs. Encore faut-il être capable d’identifier et de définir correctement les fondamentaux en question.
Source : Marketing Professionnel